Vous dire aussi...
Un neuropsychiatre de renom parle de la mémoire. La parole est à Boris Cyrulnik... (juillet 2023)
Retrouvé ce matin dans mes archives, cet extrait d’interview donné par le médecin neuropsychiatre et auteur vulgarisateur à succès Boris Cyrulnik me paraît particulièrement bon à garder en… mémoire ! « Avec l’âge, la mémoire de travail, celle qui nous permet d’organiser nos journées de travail, s’affaiblit. Elle commence d’ailleurs à être moins bonne à 40, 45 ans. Par contre, ce qu’on appelle en biologie « les empreintes » sont bien là. Ces traces cérébrales lointaines tiennent le coup parce que les premiers jours de la vie, c’est un moment où le cerveau bouillonne et se fait circuiter par le milieu. Cela donne des traces cérébrales que l’on voit toute la vie. Ensuite, il y a des superstructures de mémoire. Avec l’âge, la mémoire récente s’affaiblit de plus en plus mais les traces des débuts, elles, non seulement persistent mais aussi émergent puisqu’elles ne sont plus enfouies par les réalités quotidiennes. A ce moment-là, on a une mémoire détonante de l’école maternelle ou primaire, on peut se souvenir des noms d’instituteurs ou de petits copains de classe, etc. alors qu’on peut oublier le prénom de sa fille ». Voilà qui éclaire pourquoi certaines personnes qui me confient leur vie disposent d’une mémoire stupéfiante.
Parler de nos liens avec les morts : pas – du tout – une affaire de cinglés ! (juin 2023)
Parler des morts, ce n’est pas seulement éviter qu’on les oublie, c’est aussi éviter qu’une part de nous-même – et des souvenirs que l’on a avec eux – disparaisse. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est aussi continuer à fabriquer des souvenirs en commun avec eux. Ainsi s’exprime la philosophe et dramaturge liégeoise Vinciane Despret dans Le Soir du 21 février dernier. Dans cette interview, elle parle aussi de… la vie ! En tant qu’auteur de récits de vie, j’ai bien aimé la définition qu’elle donne de ce qu’elle appelle « les moments de grâce ». « Saisir les moments de grâce (…), c’est créer le dispositif où (les gens) racontent des choses que jamais vous n’imagineriez qu’on pourrait les penser tant elles sont remarquables d’originalité, intéressantes et importantes. Aujourd’hui, le milieu dans lequel on vit est extrêmement toxique pour ce genre de relation : les gens savent que s’ils parlent de cela, on va les traiter de cinglés, d’originaux ou de croyants. Et une fois qu’on a créé un dispositif de récolte, il faut créer celui qui va relayer sans affaiblir, et en liant à d’autres choses. Ne pas en faire une série d’anecdotes séparées les unes des autres ». Favoriser ce genre de « récolte » et fabriquer une telle « sauce » liante, tel est mon métier, en somme…
Retrouver les résistants oubliés de la Guerre 40-45 (mars 2023)
Comment résister à l’envie de relayer cet appel auprès de vous, qui me lisez… ? Ce jeudi 9 mars 2023, l’éditorialiste en chef du journal Le Soir, Béatrice Delvaux, fait état de l’initiative prise par un historien flamand, Dany Neudt. Depuis le mois d’août 2022, celui-ci poste chaque jour sur les réseaux sociaux quelques brèves lignes (et une photo-portrait) consacrées à une figure héroïque de la résistance pendant la guerre. Héroïque, certes, mais restée totalement anonyme. Sa ligne directrice : mettre en avant des gens ordinaires qui ont fait des choses extraordinaires contre les nazis. Et qui, le plus souvent, ont été oubliés, effacés, gommés par l’écho médiatique et politique - nettement plus retentissant - réservé à la collaboration avec les Allemands. Injuste ? Oui, plaide-t-il, car « la résistance mérite autant d’attention dans la mémoire collective que la collaboration ». Mais là où cette initiative me frappe encore davantage, comme auteur de récits de vie, c’est lorsque Dany Neudt lance un appel aux Francophones pour extraire de l’oubli tous ces résistants anonymes au sud du pays à l’appui de photos, témoignages et mini-biographies. Il lance son appel, plus précisément, aux centres culturels, aux communes et villages pour remettre à l’honneur ces figures oubliées de l’Histoire. Salutaire, par les temps qui courent…
Parler de soi, raconter sa maternité : un acte impudique ? (février 2023)
Ceux et celles qui lisent cette rubrique savent à quel point la lecture de la presse est riche de réflexions intéressantes pour tout qui souhaite entamer un récit de vie ou… hésite à le faire. Dans le journal Le Soir du 5 février 2022, on lisait (notamment) ces lignes intéressantes de Julia Kerninon, à propos de son ouvrage consacré aux bonheurs et orages de la maternité (« Toucher la terre ferme », L’Iconoclaste, 120 p). Au journaliste, qui lui demande si l’écriture permet de fixer les choses, elle répond : « Les fixer, oui. Mais le but est davantage de les comprendre. Ecrire des livres (…), c’est me laisser la bride lâche et voir ce qui apparaît sur le clavier quand je me laisse parler. Et je suis souvent surprise de ce que je découvre (…), l’impudeur n’est pas un problème, je dirais même que c’est précisément mon impudeur qui est intéressante. Si je raconte mon expérience de la maternité en cachant mon utilisation de l’alcool ou le moment où j’ai envie de quitter mes enfants, si je raconte quelque chose de lisse là-dessus, ça n’a aucun intérêt (…), ça ne va être utile à personne ». Et l’autrice française d’ajouter : « En osant aller à un endroit d’impudeur, je fais en sorte que mon lecteur, tout seul dans son salon, ose lui-même se regarder avec cette impudeur-là. Et, des fois, c’est bien d’oser se regarder parce que l’impudeur, c’est aussi de la lucidité »…
Quand l'Histoire exige des histoires... (octobre 2021)
Belle interview de Caroline Lamarche dans Le Soir du 24 octobre 2021 qui, notamment, s'exprime sur la nécessité des placer des histoires dans l'Histoire, la Grande...
"Dans toutes les tragédies, on produit des chiffres et des images peu commentées. Je pense qu'il nous manque des histoires individuelles. Ce sont elles qui permettent aux gens d'accéder à leurs émotions et de les partager. Les faits bruts, les statistiques ont un effet dépressif extraordinaire (...) J'ai trop souvent entendu qu'on ne devait pas parler du passé parce que c'est une histoire de défaites. Mais cela revient à laisser les gens seuls face à leur chagrin (...).Bien sûr, il faut un temps pour que les récits surgissent. Mais si on veut ouvrir l'avenir, il faut des histoires, il faut du désir".
(Faire) écrire sa vie, c’est s’émanciper (mai 2021)
J’ai apprécié, récemment, le livre d’Alex Lainé « Faire de sa vie une histoire » (Editions Desclée de Brouwer, 2018, 276 p.). L’auteur y présente les fondements théoriques et pratiques du récit de vie. Parmi les passages qui me parlent, en tant que rédacteur-biographe de récits, il y a le passage suivant, relatif aux gens qui n’ont jamais exercé une profession, qui sont en échec scolaire et qui ont tendance à se représenter comme dénués d’expérience, de capacités, de compétences. « Si l’on prend la peine, avec l’individu concerné, de passer son histoire en revue, on découvre presque toujours des expériences de vie, des expériences bénévoles, de loisir, etc. extrêmement riches et souvent porteuses de capacités et de compétences utiles au projet qu’il poursuit. Le travail d’analyse des expériences vécues (…) débouche toujours sur une réévaluation à la hausse de l’image que le sujet se fait de lui-même. Cela signifie que des expériences non prises en compte dans les diplômes et examens apportent des compétences significatives ».
Si cet extrait me paraît important, c’est parce qu’en rédigeant des récits de vie avec et pour les gens, j’ai souvent l’impression de les aider dans leur volonté (consciente ou pas) d’émancipation. Alex Lainé l’évoque bien lorsqu’il dit ceci : « Un des effets manifestes de la méconnaissance et de la sous-estimation des savoirs dont pourtant je dispose, c’est mon maintien dans la position sociale et culturelle que j’occupe ». Si raconter sa vie peut s’avérer bien utile, c’est précisément parce que « dans l’examen et l’analyse de mon histoire passée, je vais découvrir les moments où, malgré les influences et les déterminismes externes, j’ai posé des actes qui ont orienté le cours ultérieur de ma vie. Seul cet examen permet à des individus qui se vivaient jusque-là comme entièrement soumis à une histoire-destin, de passer du statut d’objet à celui de sujet de leur histoire, et d’acquérir ainsi la conviction qu’ils peuvent changer quelque chose à leur vie à venir ». On est bien loin, ici, d’une conception des récits de vie comme de simples bilans de vie, a fortiori définitifs…
Ecrire pour sortir de sa prison (décembre 2020)
"Ecrire, pour moi, dit Catherine Barreau, récemment primée par le prix Rossel pour son ouvrage "la Confiture de morts", c'est un mouvement où on transforme tout ce qui pourrait nous abîmer pour retourner vers l'extérieur et le partager". Car, continue-t-elle, "notre quotidien nous confronte en permanence à des tensions de tous ordres dont on a tendance à se protéger. Et tout ce qui nous protège, en un sens, nous enferme, nous abîme". Voilà qui est bien dit ! Ou, plutôt, bien écrit... (Source: Le Soir 11 décembre 2020)
L'écriture comme résilience (juin 2019)
" L'écriture est un bon chemin pour sortir de la brume et éclairer la vie ". Ces paroles terminent une récente interview de Boris Cyrulnik, le neuropsychiatre considéré comme le père du concept de "résilience" (magazine Psychologie mai/juin 2019). L'écrivain y explique qu'il a écrit la biographie de ses parents pour leur "donner une forme de sépulture" : cela lui a permis de mieux faire leur connaissance. Il parle aussi d'une personne proche qui s'est mise à écrire après l'annonce brutale de son cancer, afin de mettre à distance la violence du médecin. "Écrire, commente-t-il cette démarche, a été le moyen de reprendre le contrôle de sa vie".
Cette phrase toute simple résume à merveille le sentiment que j'éprouve souvent lorsque je termine un récit de vie avec l'un de mes narrateurs (bien que ne me situe aucunement dans une démarche psycho-thérapeutique). Boris Cyrulnik ajoute qu'écrire est un outil de résilience car cela permet de "faire quelque chose de son histoire, agencer les mots de manière à remanier le traumatisme". Cela dit, il l'admet volontiers: il ne faut pas avoir vécu un traumatisme pour sentir les bénéfices d'une biographie (heureusement !). "Écrire instaure une distance émotionnelle et permet de choisir dans notre passé les images qui agiront sur notre monde mental et celui du lecteur ". A peu de choses près, ce travail de (re)création illustre bien le cœur de mon activité de biographe/portraitiste...
Après la perte d'un enfant... (mai 2019)
Merveilleux moment d’humanité, il y a quelques jours, aux cinéma Les Grignoux (Namur), avec la projection du documentaire « Et je choisis de vivre », consacré à une maman « désenfantée », suivie d’une rencontre émouvante avec le public. L’œuvre des deux réalisateurs (Damien Boyer et Nans Thomassey) suit les pas d' Amande, une jeune femme qui, avec son compagnon, a perdu son fils unique âgé d’un an, emporté par une maladie rare. La caméra l’accompagne à travers les montagnes de la Drôme (France), au fil d’un voyage initiatique qui – elle veut le croire – lui permettra de retrouver un semblant de sérénité.
C’est d’un véritable récit de vie qu’il s’agit ici, étalé sur deux semaines. Sauf que les images nourrissent les paroles (et l’inverse !) et que ce récit aborde l’une des plus abominables épreuves qu’un parent peut rencontrer dans la vie. Le plus poignant, dans ce documentaire parfaitement réussi, est qu’il parvient à capter la souffrance intime d’Amande au détour d’une larme ou d’un rictus à peine perceptible. Il touche au sublime lorsqu’il rend compte – et avec quelle pudeur ! – des rencontres bouleversantes que la jeune femme fait, dans ce relief chaotique ô combien symbolique, avec d’autres parents confrontés au même genre de perte. Les raisons de sourire voire les éclats de rire y sont nombreux, grâce notamment à la présence d'un... clown !
Chacun de ces parents en perte d'enfant(s) a trouvé son propre chemin pour survivre. Au point qu’il devient possible, comme l’a dit un père désenfanté, de retrouver ici et là des moments de bonheur.
Au total, le film se révèle un hymne à la bienveillance, y compris via ces marques d’humanité que de parfaits inconnus peuvent s'échanger au hasard des rencontres de la vie.
Petites et grandes histoires du féminisme (mars 2019)
"On ne peut changer que lorsqu'on prend la peine d'écouter les histoires des autres. On sera alors écouté soi-même..." En tant que biographe-raconteur d'histoires personnelles ou familialmes, cette phrase m'interpelle. Elle a été prononcée hier soir sur le plateau de la Grande Librairie (France 5) par Gloria Steinem, 84 ans, grande militante féministe. Elle sait de quoi, elle parle, cette écrivaine américaine ! Elle a croisé la route d'une multitude de grandes figures de l'Après guerre, vantant partout l'intérêt des "cercles de parole" pour libérer la parole des femmes face à diverses formes d'oppression (masculine, raciale...) et d'incitation plus insidieuse au silence. A propos d'"histoire" et de "changement", j'ai surtout l'impression que se raconter (par exemple à un biographe) suscite le changement de celui ou celle qui se livre. Il ou elle abandonne, provisoirement ou pas, sur des pages aussi bien écrites que possible, une tranche de vie. Et, peut-être, un moment d'existence qu'il ou elle souhaite ne pas oublier. Veut-il (elle) le déposer ou... le dépasser ? Les deux voies sont possibles, mais chacune engendre un changement différent. Elles peuvent aussi se compléter dans l'harmonie. Une histoire, en somme, de chrysalide et de papillon. Merci, en tout cas, à Gloria Steinem, lumineuse hier soir lorsqu'elle remercia, la main sur le coeur, l'un de ses vis-à-vis (l'autrice Chloé Delaume) de ne pas avoir occulté sur ce plateau TV le drame dont elle a été victime à l'âge de dix ans.
Que deviennent les souvenirs avec l'âge ? (mars 2017)
Amusant et... instructif! Au rayon des périodes particulièrement heureuses de leur vie, les hommes signalent plus facilement les souvenirs de leur mariage et la naissance des enfants que... les femmes. C'est ce qui ressort de deux thèses défendues il y a quelques jours aux université de Lausanne et de Genève, en Suisse. Un grand nombre de personnes âgées ont été questionnées sur les périodes de vulnérabilité et de bonheur ayant jalonné leur vie. Le résultat, c'est qu'il faut nuancer quelque peu l'importance de la famille traditionnelle. Par exemple, les personnes qui n'ont pas eu d'enfant ne déclarent pas moins de périodes de bonheur que les personnes ayant été pères ou mères. Les chercheuses suisses relèvent également que les femmes ont moins tendance à enjoliver le passé, peut-être parce qu'elles se souviennent très bien des sacrifices de la maternité...
Leur étude révèle également que 20 % des seniors interrogés (3ème et 4ème âge) ne mentionnent pas leurs enfants comme les personnes les plus significatives de leur entourage. Les seniors mentionnent plutôt leurs frères et sœurs, leur famille plus éloignée ou des ami(e)s soigneusement choisi(e)s. Bref, relèvent les chercheuses, les familles suscitent bien des ambivalences.
Encore deux points à relever. Primo, les deux gérontologues soulignent une réalité qui, sans être révolutionnaire, fait réfléchir bien au-delà des frontières suisses: ce sont principalement des femmes âgées veuves, célibataires et/ou sans descendance, avec une santé déficiente et des revenus faibles, qui n'ont aucun proche significatif sur qui compter pendant leurs vieux jours. Secundo, à l'approche de la fin de vie, les individus font le tri dans leurs souvenirs et leurs relations. Et, ce faisant, ils se concentrent sur les émotions positives. Et en Belgique, qu'en aurait-il été?
Le détail est à consulter sur le site du Fonds national suisse de la recherche scientifique: https://www.lives-nccr.ch/fr
Jusqu'où conserver les secrets ? (mars 2017)
Faut-il tout dire? Faut-il conserver les secrets à tout prix ou, parfois, peut-on les trahir?
Je n'ai pas (encore) lu l'ouvrage de notre compatriote Isabelle Bary, "Ce qu'elle ne m'a pas dit", paru aux Editions Luce Wilquin. Mais, après l'avoir entendue récemment à la Foire du livre de Bruxelles, je vous livre ici quelques propos tenus par cette romancière de l'intime. Elle avoue avoir longtemps pensé que les secrets doivent nécessairement rester... secrets définitivement. TOUS les secrets ! Or, elle pense maintenant que certains secrets, s'ils sont tus trop longtemps, peuvent mener à des "tsunamis monstrueux" du fait qu'"ils transpirent" quoi qu'on fasse. A un moment, on peut estimer nécessaire de lever le voile sur ce qu'on n'a pas voulu dire pendant longtemps. Cela présente deux avantages, estime-t-elle. On peut en effet gérer le mode exact de transmission (parole, écrit, réunion de famille, etc). L'autre avantage, c'est qu'on peut au moins garder un contrôle sur l'information transmise.
Et Isabelle Bary poursuit. A l'heure où Face Book révèle potentiellement tout de chacun à la planète entière, détenir un secret entre deux ou plusieurs personnes, c'est "tisser un fil invisible" entre plusieurs êtres dans l'"intime" (qu'elle distingue de l'"intimité"). A l'inverse, lorsqu'on divulgue un secret familial, on peut "se redécouvrir et à se créer un supplément d'âme".
A la fin de la rencontre avec son public, elle a ajouté une dernière idée. "Après avoir rédigé mon livre, je comprends mieux ceux qui n'ont pas envie de connaître un secret que ceux qui veulent le connaître". A méditer, non?
Enfin, je ne peux pas clore ce petit billet sans vous inviter à méditer cette parole de son interlocuteur à la Foire, l'écrivain québecois Eric Dupont. "La vérité est un capital qu'on distribue. Le secret est une forme de pouvoir". Voilà, l'essentiel de leur échange n'a plus de secret pour vous ! Merci à la Foire du livre pour cette belle rencontre.
"La guerre n'a pas un visage de femme", de Svetlana Alexievtich (2004, J'ai Lu 2015, 412 p.) (juillet 2016)
J'avais déjà beaucoup apprécié "La supplication", paru dans la même collection en 2015. L'auteure, sacrée prix Nobel de littérature cette année-là, avait passé plusieurs années de sa vie à rencontrer longuement les victimes de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. C'est une facette méconnue de la catastrophe qu'elle avait reflété dans son ouvrage: non pas la version officielle russe ou ukrainienne, mais la multiplicité d'histoires personnelles, conjugales, familiales - souvent dramatiques - dont l'explosion du réacteur nucléaire a accouché jusqu'à vingt ou vingt-cinq ans plus tard. Ici, dans "La guerre n'a pas un visage de femmes", Svetlana Alexievitch donne la parole à des dizaines de femmes russes ayant participé, souvent très jeunes, à la guerre contre l'armée allemande. Grâce à ces "héroïnes" oubliées, on plonge à pieds joints dans le lessivage des cerveaux de cette époque, le déchirement des familles, le bruits des bottes masculines et, malgré tout, la survivance de minuscules îlots de beauté dans un océan de noirceurs et de malheurs. Pour tout commentaire, je me contente de livrer ici trois extraits qui vous en diront long sur le sens, le ton et la démarche de ce livre. Ils n'ont pas manqué de m'interpeller, en tant que biographe!
"L'évocation des souvenirs, ce n'est pas un souvenir passionné ou au contraire indifférent des événements qu'on a connus et d'une certaine réalité enfuie (sic), mais une vraie renaissance du passé. C'est une pure création. En se racontant, les gens recréent, "réécrivent" leur vie."
"Je marche sur les traces de la vie intérieure, je procède à l'enregistrement de l'âme. Le cheminement de l'âme est pour moi plus important que l'événement lui-même. Savoir "comment ça s'est passé" n'est pas si important, si primordial; ce qui est palpitant, c'est ce que l'individu a vécu... ce qu'il a vu et compris de la guerre... ce qu'il a vu et compris de la vie et de la mort. Ce qu'il a extrait de lui-même au milieu des ténèbres sans fond... "
"Il faudrait écrire un livre sur la guerre, qui soit tel que le lecteur en ressente une nausée profonde, que l'idée même de la guerre lui paraisse odieuse. Démente".
Reportage RTBF sur les enfants wallons envoyés en formation dans la Jeunesse hitlérienne. Une belle histoire de transmission, par Julie Morelle (mars 2016).
Instructif et, surtout, significatif de l'idée de transmission, ce reportage de Julie Morelle (RTBF), le 30 novembre 2016. La journaliste a rencontré Joseph, l'un des 3000 jeunes Wallons de 8 à 13 ans envoyés en formation par leurs parents dans les Jeunesses hitlériennes pendant la Deuxième guerre mondiale. Pour des raisons gommées par le reportage, Joseph a décidé, en 2016, d'enfin parler, de raconter son expérience, de "sortir quelque chose, car cela fait toujours du bien...". C'est à son petit-fils, 8 ans, qu'il s'adresse devant la caméra de la chaîne publique. Huit ans, c'est l'âge exact auquel lui-même avait quitté la Belgique et sa famille. Au-delà de cette tranche d'histoire importante, c'est la volonté sincère de ce grand-père de transmettre un message à sa descendance qui touche au cœur. Car Joseph ne cache pas la colère qu'il a conservée pendant si longtemps contre son propre père, qu'il qualifie en des termes peu amènes... tout en ajoutant aussitôt, plus philosophe mais meurtri: "paix à son âme..."
Je n'ai pas pu m'empêcher, à la fin de cette longue séquence du JT, de penser que Joseph avait choisi, dans ce dialogue avec son petit-fils, une bien belle voie pour tourner les pages les plus difficiles de sa relation avec son père. Au final, un bon reportage sur le sens de l'intergénérationnel, sans leçon ni moralisation gnan-gnan. Ne pas rater les plans du cameraman de la RTBF ni les expressions faciales de Joseph....!
A revoir sur auvio.be http://www.rtbf.be/auvio/detail_jt-19h30?id=2157727 (viser la 24 ème minute).